Freud et le tabac

« Il existe peu de comportements humains qui, pourvus de signification réelle ou imaginée, n’aient retenu l’attention de Freud. Fumer au premier abord très simple, est en réalité riche en significations potentielles. L’œil de Freud a pu être attiré par la forme phallique du cigare ou de la cigarette, par la nature orale de ce comportement avec ses affinités avec la tétée et le sein et encore par le symbolisme du feu. Freud était  tabacomane, en dépit de graves maladies (maladie cardiaque grave, cancer de la bouche), il n’a pu arrêter de fumer.

Freud a intégré la motivation de fumer dans sa théorie générale de la sexualité (1905), il a été suivi par d’autres auteurs. 

Dans une orientation psychanalytique, O.LESOURNE  a fait une enquête auprès de grands fumeurs et anciens grands fumeurs et auprès de jeunes de 8 à 16 ans. Elle applique la méthode psychanalytique pour mettre en évidence, les problématiques inconscientes qui semblent se cristalliser autour de l’habitude de fumer. Elle relève des constantes et fait une interprétation de la passion de fumer: Le grand fumeur ne maîtrise pas son habitude, il fume cigarette sur cigarette sans savoir pourquoi, dans une sorte de besoin pressant et non explicité. Le plaisir de fumer, dans cette grande consommation, est souvent réduit à la cigarette après le repas ou bien à la première cigarette au lever,…les autres sont du domaine du besoin et l’accoutumance à la nicotine ne serait pas seule en cause .

De ces concepts freudiens pour comprendre les motifs inconscients des fumeurs, nous avons retenu: 
 
 
1.1.4.1. l’identification

La notion d’identification doit être évoquée: L’identification commence à la naissance, elle aboutit à l’élaboration d’images de référence et permet l’éclosion d’un sentiment de soi différentié. On se construit par imitation, incorporation de modèles et les héros que sont nos parents, nos amis, nos maîtres sont peut-être aussi fumeurs ; le tabagisme d’une personne peut être confondu, assimilé à ses qualités : « je fume comme…, je suis comme… »

1.1.4.2. L’oralité:

Le tabagisme est lié à l’oralité infantile, le premier état de tension interne est celui de la faim et les premières satisfactions sont liées au plaisir de l’allaitent. L’utilisation de la bouche pour fumer et l’investissement quasi-alimentaire de la fumée que l’on avale, permettent de retrouver les premiers plaisirs de l’oralité ; le tabagisme est l’équivalent des mécanismes de défense que mettent en place les nourrissons pour éviter les angoisses liées à la faim (remplacement de la tétée par des suçotements divers). Pour l’adolescent puis l’adulte, les tensions qui n’arrivent pas à être résolues amènent à réutiliser la primitive auto-satisfaction. Le paquet de cigarettes est toujours disponible, ce qui est sans arrêt vérifiable, Chaque fois que le fumeur le désire, le « sein-cigarette-fumée-
lait » vient soulager la tension intérieure d’une manière inépuisable. Et ce n’est pas par hasard que l’on parle de sevrage… En relation avec tout cela, toutes les situations de séparation auront tendance à déclencher ou aggraver le tabagisme (divorce, deuil, échec, etc.) L’importance de ces motivations orales du tabagisme est illustrée par l’explosion des autres comportements de même ordre qui surviennent lors de l’arrêt du tabagisme: boulimie, mastication de chewing-gum, consommation d’alcool.  
C’est par la bouche que passent les premières expériences libidinales importantes : le sein, le biberon, la tétine, la nourriture. De même le fumeur se rassure en prenant quelque chose en bouche. Il n’y a rien de déviant: le tabac constitue une « soupape de sécurité ».
le premier état de tension interne que ressent l’être humain est probablement la faim, c’est aussi et par là même le lieu primaire des premières satisfactions. Trop bien satisfait, mal satisfait…, il laisse une marque, une empreinte, et l’adulte retournera à ces premières satisfactions ou à ses premiers déplaisirs pour venir combler un ressenti de manque, ou une recherche de satisfaction: boulimie, alcoolisation, anorexie, renvoient aussi à cette problématique.

 
1.4.4.3. l’objet transitionnel

Autre thème omniprésent, c’est l’insécurité du fumeur: le besoin d’avoir le paquet avec soi, même si on sait qu’on ne va pas fumer.     Ce besoin de réassurance a pu être mis en lien avec l’objet transitionnel de WINNICOT . C’est lui qui a théorisé cet objet auquel l’enfant s’agrippe, qu’il peut sucer, sur lequel il porte les caractéristiques de la mère. Ce « dodo », ce « doudou »… lui permet d’acquérir une certaine autonomie par rapport à sa mère, cet objet lui permet de structurer les périodes d’absence de distance de la mère en permettant de réduire l’angoisse. la cigarette que l’on touche, sa chaleur, sont odeur, son goût, présente une certaine similitude avec l’objet rassurant que le petit enfant emmène partout avec lui.

1.1.4.4. l’analité

La question freudienne de l’analité a été moins développée. Elle renvoie dans le développement de l’enfant à cette période intermédiaire où la maîtrise des sphincters est acquise neurologiquement par l’enfant et où il peut alors accéder à la propreté sphinctérienne. L’enfant a acquis la marche, il explore le monde qui l’entoure, peut se heurter aux volontés de l’adulte interdicteur. A cette période le cadeau que l’enfant fait ou ne fait pas de la propreté dépend de lui, on a rattaché cette période aux relations sadique et masochisme et tout ce qui relève, dans la vie adulte d’un caractère méthodique, rigide et à l’inverse le laisser aller, le laisser faire, tout ce qui est de l’ordre du garder, amasser, collectionner ou à l’inverse casser, briser…pourrait relever d’un excès de contraintes lors de cette période, d’un jeu subtile et traumatisant entre l’enfant et les adultes, où plaisir-déplaisir sont intimement liés.
 
O.LESOURNE  a relié la conduite du fumeur à des conduites masochistes. Masochisme moral, avec des connotations suicidaires dans la conduite, sorte de jeu avec la mort mais d’une nature plutôt infantile avec une sorte de pouvoir magique, avec dévaluation de l’image de soi.
Il semble également exister une atmosphère de saleté qui peut provoquer une certaine jouissance, on a pu voir dans ce plaisir déplaisir lié au tabac une similitude les « joies de l’excrétion » . On notera aussi le côté agressif du fumeur qui agresse l’entourage mais est aussi agressé par toutes les contraintes actuelles imposées au fumeur.

 Dans son interprétation l’auteur a également lié l’analité au thème de la gestualité : les divers gestes pour sortir son paquet, allumer sa cigarette, sont souvent ceux qui manquent le plus à l’arrêt du tabac. Ces gestes compulsionnels ressemblent à un passage à l’acte proche de l’expulsion motrice de tensions et relève pour elle du stade anal
Le balayage des différents motifs qui amènent au tabagisme et à son maintien, nous permet d’appréhender les différents degrés de dépendance psychologique qui sont à prendre en compte. C’est toute la personnalité du sujet qui est en cause et qu’il faudra traiter.

L’entretien d’évaluation dans l’aide au sevrage devra donc tenir compte de la nature du manque lors du sevrage et de ses conséquences dans le vécu du sujet abstinent car il réveille et parfois révèle les manques jusque là camouflés.

Notre sentiment, après plusieurs années de soutien psychologique auprès des sujets les plus en difficultés lors du sevrage, est que le tabac est venu, lors de l’adolescence, étayer l’édifice en cours de construction de la personnalité, à ce moment de passage vers l’état adulte. Le tabac a permis de  compenser par exemple: 
– une fausse aisance sociale (phobie sociale, estime de soi négative), 
– une revendication affective non exprimée (cigarette refuge, amie),  
Le tabac amène calme et détente à l’anxieux et au dépressif. Il permet de gérer les situations stressantes.

Au cours du sevrage, le soutien psychologique consistera à aider la personne à dépasser « ses manques », à  reprendre, dans un objectif de maturation adulte, les développements psychologiques qu’elle n’a pas terminés. Cela demande parfois une vraie psychothérapie, au même titre que tout sevrage à une autres drogue.

Mais, heureusement, tous les candidats au sevrage tabac n’ont pas besoin d’une psychothérapie. »

extraits de « APPORT  DE LA PSYCHOLOGIE DANS LE SEVRAGE AU TABAC » DIPLOME INTER-UNIVERSITAIRE de TABACOLOGIE
Année universitaire 
1999-2000

LEFEBVRE PERSON AnnieImage

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